« Je t'ai déjà dit de ne plus t'infiltrer ici ainsi. »
Il regardait cette chose qui, égoïste, lui avait dérobé l'intégralité de la couverture. Lorsqu'il la touchait, elle grognait. Lorsqu'il la poussait un peu, elle était sur le point de le mordre. Exaspéré, Morpheus eut un profond soupir.
« Tu viens toujours quand je me repose dans ma chambre personnelle, je sais que tu le fais exprès. »
La réprimande du roi transparaissait dans sa réplique. Des yeux moqueurs sortirent de sous les draps blancs, puis y retournèrent.
« En plus, tu sais que je ne me repose jamais habillé, Ephialtès. »
Un rire s'échappa de la couverture.


« Pourquoi es-tu donc encore venu, Ephialtès ? » le questionna le roi des rêves en trempant du pain dans son chocolat chaud. Il avait, dans ses appartements secrets, une cuisine, une salle de bain et un antre des jouets pour lui tout seul. L'autre leva vers lui deux yeux désolés.
« J'ai fait un cauchemar. »
Puis il éclata de rire. Malgré lui, Morpheus sourit, dissimulé derrière ses mèches pâles.
« Plus sérieusement », reprit le roi des cauchemars, tout en avalant une gorgée de café. « Tu n'imagines pas comme c'est triste de prendre son petit-déjeuner avec la Mort. » Morpheus haussa un sourcil. Ephialtès n'était pas du genre à s'arrêter sur une chose aussi banale dans son royaume. « Elle n'a même pas de bouche pour manger des tartines. C'est d'un triste ! » De nouveau, il eut un petit rire moqueur qui rebondissait contre les murs pastels de la cuisine. Morpheus sourit encore, mais resta silencieux. Pendant que le bruit du rire s'estompait doucement, le roi des rêves termina la dernière goutte de son chocolat avec minutie, et allant vers l’armoire du fond de la pièce, lança : « Tu es d'une agréable compagnie Ephialtès, mais si l'on te surprend ici, certains voudraient avoir ta peau. Même si l'on ne peut pas mourir à Slumberland. » Il retira les quelques étoffes qui drapaient sa silhouette pour se vêtir d'un habit davantage royal. Ephialtès le regardait, sa tasse à la main.
« C'est bon et chaud. »
Morpheus se retourna pour le regarder.
« Qu'as-tu dit ? »
« Le café. C'est bon et chaud. »
Ses yeux ne laissèrent pas un instant Morpheus.


Il retourna s’asseoir auprès d'Ephialtès une fois vêtu. Celui-ci boudait du manque d'attention que lui portait le roi des rêves. Fixant la tasse et le bol vide avec mépris, il râla.
« Tu ne fais même pas la vaisselle chez toi, vieux blond ? »
« A Slumberland, la vaisselle se fait toute seule Ephialtès, sourit Morpheus en faisant un geste bref de la main. »
Les ustensiles avaient disparus. Son némésis, se retournant sur sa chaise, redoubla dans sa bouderie. Morpheus l'ignora et ne fit pas racler sa chaise sur le sol en se redressant.
« Ephialtès, ce n'est pas que, mais il se trouve qu'ici, à Slumberland, je dois travailler. Si je ne veux pas que cela finisse comme chez toi, ajouta-t-il plein de malice. »
L'autre fit un bond sur sa chaise et pesta.
« Ce n'est pas vrai, Nightmareland est magnifique ! » Il se stoppa dans son élan, eut un moment d'hésitation, puis de réflexion, et enfin une grimace. « Enfin dans son genre. »
« Ephialtès. »
Le ton du souverain était soudain devenu ferme. Ephialtès vit ses iris le cibler sérieusement.
« Tu sais que je pourrais te tuer. Là, dans un instant. »
Un silence claqua dans l'air.
Ephialtès resta muet un court temps, bouche-bée face à ce revirement qu'il n'attendait. Puis, sa bouche s'étira dans un orgueil et il s'appuya négligemment contre le dossier de sa chaise avant d'affirmer :
« Tu ne pourrais pas me tuer, je te manquerai trop. »
Il n'obtient pour seule réponse qu'un sourire de Morpheus. Il passa près de lui comme un souffle et, durant cette brise, déposa un translucide baiser sur son front.
Ephialtès ne bougea pas.


Appuyé contre la porte, comme s'il avait avancé en un bond, Morpheus lui adressa une dernière remarque.
« Ephialtès, puisque tu as fini de déjeuner, fais-moi le plaisir de passer par ma salle de bain et de te brosser les dents. »
« Pourquoi ? rétorqua-t-il. Je croyais qu'on ne puait pas de la gueule à Slumberland. »
« Justement. Toi, tu n'es pas de Slumberland. »


Et avant que le roi des cauchemars n'ait le temps d'émettre la moindre protestation débordante de vulgarité et de colère, Morpheus s'effaça quelque part dans son royaume, laissant un cauchemar ruminer une terrible vengeance.